Dans plusieurs pays à travers le monde on déclare ouvertement l’hostilité à l’étranger. Sans détour ce dernier est prié de rentrer de là où il vient. Clairement nous vivons une ère du politiquement incorrect. L’étranger est même devenu un ennemi dont il faut se débarrasser parfois par tous les moyens. Le président de l’ONG sénégalaise Horizon sans frontières s’alarme.

Depuis le début de l’année 2020 plus de seize Sénégalais sont morts dans des « conditions troublantes à l’étranger ». Hélas les Sénégalais ne sont pas les seuls à être victimes de l’ambiance abjecte qui règne dans le monde. Il y a un an, dans un pays africain, nous avons assisté à des scènes de violences dirigées contre des Nigérians, des Congolais, des Zimbabwéens…etc. D’une manière ou d’une autre, ces vies perdues sont liées à des questions raciales, économiques ou politiques. Admirons ces mots de cet internaute qui résume avec pertinence l’ambiance que nous vivons : « On était tous des humains avant que la race nous déconnecte, la politique nous divise, la religion nous oppose, la richesse nous classe ».

Aujourd’hui les migrants et les réfugiés sont devenus le symbole de la présence des étrangers dans plusieurs pays. Sur le plan juridique, culturel et parfois racial ils sont différents des citoyens. Leur présence suscite parfois la méfiance et la peur. Aurait-on peur de l’étranger ou plutôt des différences qu’il apporte ? Serait-ce au nom de cette peur de la différence que Danielle Obono, députée française d’origine gabonaise et membre du mouvement politique La France insoumise aurait été victime d’attaques “racistes” comme le dénoncent certains de ses soutiens ? Fin août l’hebdomadaire français Valeurs actuelles représente Obono en esclave avec le cou enchaîné. Dans cette « fiction d’été », les dirigeants de cet hebdo mettent le doigt sur une réalité historique, celle de la responsabilité des Africains dans l’esclavage des noirs. Une fiction de mauvais goût pour certains lecteurs. Puisque d’après eux, à travers cette publication, l’hebdomadaire vise un objectif : « …mettre à genoux une Française noire qui a un peu trop relevé la tête ». En effet, selon l’auteur d’une tribune publiée sur le site web de l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique : « L’injure de (Valeurs actuelles) répond à l’envie de revanche de ‘l’angry white male’ américain, l’homme blanc en colère, contre les minorités qui menacent sa suprématie. Il ne vise pas seulement la députée, mais tous ces ‘Français d’origine’ qui voudraient s’exprimer un peu trop haut, un peu trop librement et qu’il faut remettre à leur place ‘naturelle’… C’est-à-dire très bas » (JA, 1erseptembre). Est-ce un procès d’intention contre Valeurs actuelles ? En tout état de cause, cette parution a suscité beaucoup de commentaires à l’Hexagone. Chacun y est allé de son interprétation.

Pour notre part, nous observons simplement que celui qui est différent, c’est-à-dire l’étranger est de plus en plus considéré comme une menace. Surtout depuis que la théorie du « Grand remplacement » circule dans certains milieux intellectuels en Occident. Cette théorie véhicule l’idée que l’Occident serait en passe d’être colonisé par d’autres peuples, notamment les immigrés en provenance d’Afrique noire et du monde arabo-musulman. Certains intellectuels occidentaux se montrent même sceptiques quant à la capacité des immigrants à assimiler les valeurs des pays qui les accueillent. « Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment ils se sépareront de nouveau », ironisait à son époque le général de Gaulle. Il manifestait ainsi sa réserve à l’idée que les étrangers réussissent à assimiler les valeurs de la république française. Certains gaullistes mettent à jour cette prudence. C’est un mythe, pensent-ils, de croire que les étrangers s’intégreront dans leur pays d’accueil. Car ancrés dans leurs cultures, ils ne les abandonneront jamais. S’il y a trop d’étrangers dans un pays, ils risquent de remplacer les valeurs de ce pays par les leurs. Le philosophe Engels prévient à ce sujet : « à partir d’un certain nombre, la quantité devient une qualité ». Il faut, dès lors, se prémunir d’un nombre important des étrangers. Le combat s’avère autant économique qu’idéologique, culturel et identitaire.

Et pourtant depuis toujours l’histoire de l’humanité est marquée par les migrations des peuples. Et pourtant l’étranger a toujours été synonyme de prochain à accueillir et à aimer. Les temps changent ou plutôt les hommes changent ! Le philosophe Carl Schmitt observe qu’à partir du degré « d’union ou de désunion, d’association ou de dissociation » il peut y avoir des choses qui nous distinguent de l’étranger en théorie. Mais sans toutefois que cela puisse être mis en « application ». Selon lui, celui qui est vu comme un ennemi, c’est-à-dire étranger à notre foi n’est pas nécessairement « mauvais », par exemple, dans l’ordre moral. Il ajoute quel’ennemi politique ne sera pas « nécessairement mauvais dans l’ordre de la moralité ou laid dans l’ordre esthétique ». Ce dernier ne « jouera pas forcément le rôle d’un concurrent au niveau de l’économie, il pourra même, à l’occasion, paraître avantageux de faire des affaires avec lui » (Carl Schmitt, La notion du politique, p. 66). Bien qu’il soit différent à tout point de vue des “vrais citoyens”, l’étranger ne devrait pas être considéré comme une menace évidente. Il peut même être une plus-value, par exemple, comme force de travail dans les pays à démographie en baisse.

Au sens figuré comme au sens propre, la situation de l’étranger est devenue une question de vie ou de mort. Une question de vie ou de mort pour les souverainistes qui défendent leurs valeurs et leur mode de vie menacés à cause de l’influence d’autres cultures. C’est aussi une question de vie ou de mort pour les étrangers qui courent le risque de mort physique. Au centre de toutes ces considérations ressort la problématique de la dignité de l’homme. A juste titre, les appels à la mobilisation pour la lutte contre les atteintes à la dignité de la personne humaine se multiplient. Le mouvement Black Lives Matter et son expansion à travers le monde cristallisent cette volonté d’agir ensemble pour la dignité de la vie humaine. Et en particulier pour les personnes “discriminées” parce qu’elles ne seraient pas de la bonne race ou parce qu’elles ne seraient pas nées au « bon endroit ». En 2017 lorsqu’éclate le scandale des noirs vendus comme du bétail en Libye, deux intellectuels africains Achille Mbembe et Felwine Sarr signent un article dans le journal Le Monde. Ils prônent une « lutte collective » pour la dignité des peuplesopprimés et humiliés (Le Monde, 25-26 novembre 2017, p. 25). Avec l’impact du mouvement Black Lives Matter les défenseurs des droits humains peuvent se satisfaire que le pari de la mobilisation et de la communication semble en partie gagné.

Cependant nous devons nous rendre à l’évidence que l’étranger aura toujours tort. Il n’aura jamais raison chez autrui. Et qu’ensemble, nous ferions mieux de travailler pour le bien-être de chacun chez soi. Car vaut mieux être traité de singe ou être tué chez soi que d’être humilié ou tué chez autrui. Seulement existe-il un gouvernement qui soit capable de “fixer” ses citoyens chez eux en les empêchant d’aller vers l’aventure ? Selon le Premier ministre canadien Justin Trudeau, les Canadiens seraient tous des immigrés. La seule chose qui les différencierait, c’est l’ordre d’arrivée au Canada. Voilà des paroles sensées qui expriment une vérité historique vécue partout et en tout temps. A un moment donné de l’histoire nous avons tous été étrangers quelque part. Même si certains de nos contemporains ne veulent pas l’admettre. Tout homme doit être capable de reconnaître la valeur de l’altérité, en considérant la personne et non l’individu. Il s’agit de découvrir une identité collective pour ne plus désigner l’étranger par “il” ou “elle” mais par un “nous” dans la société. L’urgence aujourd’hui c’est la lutte contre la pauvreté et non contre les pauvres. Vive l’hospitalité !