Jusqu’ici, les conversations sur cette année de grâce ont surtout porté sur le moment du “Boulet de Canon” (Canon Ball Moment) qui brisa la jambe d’Iñigo López Oñas de Loyola. Chacun, à sa manière, a pu s’identifier à un moment similaire dans sa propre vie, un moment blessant, déchirant, paralysant, presque mortifère.

Ce moment où un rêve s’est brisé ; un élan brusquement arrêté ; ce que l’on croyait être le pilier d’un projet ou d’une vie, soudain tombé. Et pourtant, sans ce jour du 12 mars, le boulet ne serait resté que cela, un boulet de canon qui s’abat sur une jambe/une vie innocente, avec ses horribles effets. Ce serait donc un évènement que l’on aurait tôt fait d’oublier, plutôt que de commémorer.

Ce boulet ne ferait même pas histoire. Car, des boulets de canons qui brisent et tuent, le monde en a plein. Combien de boulets, nous sommes-nous jamais demandé, se sont abattus sur d’autres soldats et civils à Pampelune ce même jour ? Que le boulet dont Ignace fut victime en 1521 pût devenir historique, ce n’est que parce qu’en ce 12 Mars 1622, Iñigo, qui par ailleurs s’était rebaptisé « Ignace », était devenu Saint. Saint Ignace de Loyola ! Ce jour que nous célébrons est donc l’horizon du boulet, ce qui lui donne son sens historique et son sens ultime à l’incident de Pampelune, à tous nos accidents de parcours. Ignace n’est plus seul. Il est en Compagnie, en Église, avec ses saints et ses martyrs. Il est avec François-Xavier, mais aussi Philippe Néri, Isidore le Laboureur, et Thérèse d’Avila. Avant cela, un 12 mars 1524, Paschase Broët, l’un des Premiers Compagnons, avait été ordonné prêtre. Et depuis ce 12 mars 1622, l’histoire a continué avec des traversées du désert, mais aussi des moments de gloire : le Pape Pie VI approuvait la Compagnie en exil en Russie (1783), et, le 12 mars 1977, Rutilio Grande (le dernier jésuite béatifié) et ses compagnons étaient assassinés au Salvador. Journée symbolique donc, que celle du 12 mars, car elle nous permet de faire le parcours de toute l’histoire de la Compagnie.

De la solitude du boulet, solitude apparemment nécessaire pour la conversion, c’est-à-dire, pour revenir radicalement au Dieu de son enfance qui imbibe la culture populaire de son Azpeitia natal, Ignace fait désormais partie de la communauté des saints qui constituent ce qu’il appelait avec dévotion la « Cour Céleste ». En ce jour, les sifflements des rafales et les bruitages assourdissants des canons, les gémissements des blessés, des orphelins, veufs et veuves cèdent la place à « une lueur d’espoir », et aux solennités propres d’une canonisation. Celle-ci fut accompagnée, en 1622, de la musique baroque jouée par ces autres fils de la Compagnie, étudiants des collèges romains et germaniques de Rome.

Comme par un hasard, les ennemis d’hier s’étaient mis d’accord pour canoniser Ignace et les quatre autres que l’Église a porté sur les autels ce 12 mars. Et chacun des rois des grandes nations d’Espagne, de France ou de Bavière s’identifiait à ces héros en vertu. Chacun d’eux en voulait un « morceau magique » pour restaurer la paix dans son royaume. Le boulet de canon n’est donc devenu historique que parce qu’Ignace a pu tomber et se relever de la plus belle des manières, en croissant dans une plus grande intimité avec son Dieu, et en s’assurant que le travail que Dieu opérait en lui incendiait, comme un feu dévorant, tous ceux et toutes celles que Dieu mettait sur son passage. C’est pour cela qu’en cette année ignatienne, ce jour, plus que le 20 Mai, est plus porteur de sens. Car, il connecte les moments tragiques et paralysants de notre vie avec un projet de vie, un appel à la conversion et à la sainteté. Ce moment nous rappelle, en fin de compte, que si le grain tombé ne meurt, il reste seul. Mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. Des fruits qui demeurent (Jean 12, 24).

Le passage de la douleur tragique du boulet aux célébrations du 12 Mars célèbre ainsi, pour tout chrétien, le passage du Vendredi Saint avec ses souffrances, son cynisme, et ses trahisons, au matin de Pâques. En ce jour, nous célébrons la victoire de la vie sur la mort. Nous célébrons la naissance d’un mouvement né de la douleur, mais qui, depuis, porte une flamme qui embrase notre monde de l’amour et de la miséricorde de Dieu. Aussi glorieuse que fut la solennité de ce jour au 17e siècle, cette fête vise surtout à nous humaniser aujourd’hui dans la célébration que le Seigneur fit et continue de faire pour nous. Car Ignace fût avant tout un homme en proie à ses propres doutes et misères, et qui porta dans sa chaire les marques de la violence et de l’injustice de son époque. La gloire de la canonisation, c’est tout homme et toute femme qui vit sa première chute en sachant qu’il y aura une deuxième, une troisième même. Mais qui vit toutes ces chutes avec la joie de celui et celle qui croit en la providence de Dieu, que la grâce de Dieu lui suffit. Bonne Fête de la Canonisation de Saint Ignace et de Saint François-Xavier ! Rejoignons le Saint Père et autres chrétiens à travers le monde pour célébrer ce jour spécial !

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