Zinkwazi Beach, estuaire de la rivière Kwanzi abrite un quartier exclusif situé sur la côte nord de la province du KwaZulu-Natal en Afrique du Sud.

C’est sur ces terres du royaume de Shaka Zulu que se tient, chaque année, en deux groupes, un Troisième An pour les jésuites dans la dernière ligne droite de leur formation. Cette année, comme les trois années auparavant, j’y suis allé pour animer la session d’histoire de la Compagnie de Jésus. Accompagné par l’Instructeur Michael Lewis, de son socius Isaac Kiyaka (absent pendant la session), et du ministre Timoteo Portasio, nous nous sommes retrouvés avec un groupe de huit tertiaires, provenant d’Allemagne (1), d’Angleterre (1), d’Espagne (1), des États-Unis (2), du Nigeria (2), et de Zambie (1).

L’introduction de la session portait sur l’état des études sur la spiritualité et la pédagogie ignatienne, ainsi que les Constitutions et l’histoire de la Compagnie de Jésus de nos jours. Si ce dernier domaine connaît un grand engouement aujourd’hui, la Compagnie disposant des sources que cherchent les historiens et ouverte à les rendre disponible aux chercheurs, et si la diversité de nos engagements apostoliques fait que tous les domaines de la recherche en histoire puissent trouver leur compte dans l’histoire de la Compagnie, et si enfin le fait qu’elle fasse partie de la première mondialisation et qu’elle ait su codifier celle-ci rend l’étude de son organisation attrayante au regards des crises institutionnelles observées dans la nouvelle mondialisation, il reste que 99% des historiens de la Compagnie restent non-jésuites. Parmi eux, on compte une grande diversité de races, de cultures, de religions, des agnostiques et des athées qui permettent de rendre compte de notre histoire et de l’histoire de l’humanité au cours des derniers siècles de la manière la plus holistique et englobante. A ces tertiaires qui bientôt rejoindront le champ apostolique, parfois à des postes de responsabilités, il était important de marteler l’absence croissante des jésuites dans les domaines d’études sur notre institut, et des risques que cela encourt pour sa conservation en bon état. Saint Ignace et les premiers Compagnons, ainsi que des Généraux successifs de la Compagnie ont pourtant compris que promouvoir l’étude de son histoire, de sa spiritualité et de ses Constitutions devait être une préoccupation constante dans notre apostolat intellectuel. Il en allait du renouvellement de l’ordre, de sa promotion, et de sa conservation.

Le reste de la session a suivi la trajectoire traditionnelle de l’histoire de la Compagnie. L’esprit des origines et les défis auxquels les premiers pères (primi patres) ont dû faire face. Nous avons poursuivi par l’étude des généralats successifs de Diego Laínez, Francisco de Borja, Evérard Mercurian, Claudio Aquaviva concluant avec le premier centenaire de la Compagnie de Jésus sous le généralat de Muzio Vitelleschi. Nous avons ensuite abordé l’étude des missions, notamment en Asie et en Afrique, et dont de l’expansion de la Compagnie et de la rencontre des jésuites européens avec les cultures non-européennes. Ce que, par de telles rencontres et leur étude, la Compagnie a apporté à l’histoire de l’humanité et le développement des sciences humaines ; mais aussi les controverses que leur approche de la mission a générées.

A ce stade, la Compagnie de Jésus avait atteint son apogée. Tous les éléments pour sa suppression future y étaient déjà aussi rassemblés.

Celle-ci, comprise comme une « immolation » se lisait avec une gravité méditative de la passion de notre institut, de son séjour parmi les morts tout en survivant à des endroits insoupçonnés, et de sa résurrection gardant intact ses documents fondateurs.

Si des historiens ont interprété les années après la restauration en termes plutôt conservateurs, des articles nous ont fait parcourir la période allant de 1815 à 1914 dans toute sa diversité, mais aussi un excès de prudence propre à un institut assiégé par des persécutions et expulsions multiples. Les deux guerres mondiales servirent de tournant, nous étant intéressés surtout à l’émergence d’une Compagnie dite progressiste en France avec la Nouvelle Théologie, incomprise à ses débuts, mais qui jouera un rôle déterminant au Second Concile du Vatican. C’est le Concile, mais aussi la Compagnie d’Arrupe, des généraux depuis lors, et même du Pape actuel. Elle avait pour mission de vulgariser les enseignements du Concile, mais dans un monde changeant plus vite que jamais, un contexte de profonde crise religieuse en Europe, et la prise de conscience par des masses catholiques pauvres des injustices structurantes de cette nouvelle mondialisation. En optant pour ces pauvres, la Compagnie de Jésus resta prophétique, mais aussi incomprise même parmi ses amis et sa Mère l’Eglise.

Au terme de ce parcours, chaque tertiaire, mieux alerte sur l’histoire de la Compagnie de Jésus, a réfléchi dans un climat de partage méditatif sur la contribution de sa Province dans cette histoire, ce dont il est fier, les défis qu’il continue d’observer. Et la conversation a abouti à une prise de conscience forte du « Nous » de la Compagnie de Jésus, de notre appartenance à un corps appelé à rester uni pour la mission. Que la Compagnie croisse par endroit, qu’elle diminue en nombres à d’autres endroits, qu’elle soit riche d’une tradition par endroit, innovatrice et ambitieuse à d’autres endroits, qu’elle soit riche par endroit, et pauvre à d’autres endroits, on voyait disparaître progressivement le langage de « votre » et de « chez nous/chez vous » pour le simple langage de « Notre Compagnie ». Nous appropriant, non sans réelle émotion, ses grandeurs et ses faiblesses, ses espérances et ses angoisses.

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