Je m'appuis ici aux mots du P. Augustin Karekezi, SJ qui, lors de la conférence organisée à Kigali sur la théologie au Rwanda, parla profondément de la tragédie du génocide et des compagnons Jésuites tués aux centre Christus à Kigali le 7 avril à 7h du matin, le premier jour du génocide.
"Le génocide contre les Tutsis, au Rwanda, en 1994, restera une date repère. La tragédie du génocide et ses multiples conséquences posent des questions redoutables à la conscience de l'humanité. Elles nous convoquent à défricher en nous-mêmes des clairières de paix, à cultiver autour de nous la tolérance humaine et à choisir la solidarité contre l'exclusion."
A ce jour avec tous les Rwandais et toutes les personnes de bonne volonté, je rends hommage aux personnes, connues et inconnues, qui nous ont soutenus et qui ont rendu possibles les chemins d'avenir.
"Oui, ce fut le génocide le plus violent de l'histoire contemporaine si l'on considère son ampleur, sa cruauté et sa rapidité. Sous aucun prétexte, nous ne pouvons banaliser un génocide. Nos morts nous pressent de ne pas oublier ce qui s'est passé pour que ça ne se reproduise plus, ni chez-nous, ni ailleurs dans le monde.
Chrysologue Mahame, Patrice Gahizi et Innocent Rutagambwa nous ont laissé un bel héritage par leur vie et leurs engagements. Ils furent des "serviteurs de la mission du Christ" dans une grande liberté et une qualité de relations humaines admirable. Pour nous, ils sont une source d'inspiration."
La Tragédie du Génocide au Centre Christus
Dès que l'avion présidentiel fut abattu, tard dans la soirée du 6 avril 1994, vers 21 h, le premier objectif de l'État de l'armée fut de faire ériger des barrières dans la ville. Aussitôt, la Radio R.T.L.M se mit à diffuser les messages de mort et les massacres commencèrent. Le lendemain, peu avant 7h du matin, le 7 avril, des soldats de la Garde Présidentielle entrèrent dans la chapelle de communauté du Centre Christus en demandant les pièces d'identité, mais personne ne les avait avec soi à la chapelle. Puis ils firent la perquisition dans les chambres et séparèrent les Rwandais des autres, à savoir les Européens et un citoyen malien, représentant du HCR qui, lui aussi, avait logé au Centre Christus. Les rwandais furent conduits dans une petite chambre qui porte le numéro 28 et qui deviendra le lieu de leur exécution. Dix-sept personnes furent tuées par balles et grenades: huit jeunes filles membres d'un Institut Séculier, Vita et Pax, qui suivaient une session sur la Bible, quatre prêtres du Diocèse de Gikongoro qui avaient logé au Centre Christus pour saluer leur évêque à son départ pour Rome où il devait participer au premier Synode sur l'Afrique - aucun évêque du Rwanda n'a participé à ce synode vu que l'aéroport était bouclé - , une assistante sociale travaillant pour le diocèse de Gikongoro, un cuisinier du Centre qui, à cause de l'insécurité, n'avait pas pu rentrer chez lui et les trois jésuites: Chrysologue Mahame, Patrice Gahizi et Innocent Rutagabwa.
Père Chrysologue Mahame : Père Fondateur de la Compagnie de Jesus au Rwanda. Ses derniers jours furent sans doute assombris par la désolation de voir que l'homme devenait un loup pour son frère et que ceux qui avaient mission de protéger les citoyens devenaient leurs bourreaux. Mais nous avons des raisons de croire qu'il a gardé l'espérance en la vie éternelle et que justement en ce moment de solitude il a mieux compris la béatitude de ceux qui œuvrent pour la paix : "Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5, 9).
Père Patrice Gahizi : Il a été l'un des prêtres rwandais présents dans toutes les luttes. Le message que Patrice nous a donné par sa façon de vivre nous rappelle les paroles mêmes de Jésus : 'Personne n'a de plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis'. Patrice a suivi le maître encore plus loin en donnant sa vie. Le témoignage de foi et d'amour du Père Patrice a ouvert une nouvelle et belle page de l'évangélisation au Rwanda, montrant ainsi que l'Évangile a été reçu et profondément pratiqué par certaines personnes. Patrice lui-même m'a dit ceci : "être chrétien n'est pas affaire de nom seulement ; c'est plutôt le fait d'aimer tout homme même si lui est ton ennemi ; tu dois lui témoigner de l'amour..." Homme talentueux et magnanime, le Père Patrice observait avec soin et amour tout ce qui l'entourait. On se souviendra de lui comme d'un jésuite qui avait “l'esprit de la Compagnie" et un prêtre toujours soucieux de bâtir des ponts de fraternité.
Père Innocent Rutagambwa : Il était un homme calme, réservé et méticuleux. Il était généreux, fraternel et très soigneux. Il était accroché à son bureau ou comme on a dit de lui : "il poussait là où il était semé". Le Père Innocent a vécu silencieux, dans la fidélité à son devoir et il a été conduit à la mort comme un "agneau que l'on mène à la boucherie".
Nos trois compagnons tués au Centre Christus incarnent la mission de la Compagnie et une tradition que nous cherchons à honorer. Ils ont porté le témoignage d'une grande liberté d'expression et de relations humaines. Ils furent des serviteurs de la foi en Jésus-Christ, des défenseurs de la justice entre les hommes et de dévouement envers les pauvres, notamment les réfugiés ; ils étaient animateurs des Exercices spirituels de Saint Ignace et des accompagnateurs de ceux qui cherchaient Dieu. Ils ont été des éducateurs. Par leur vie et leur mort, ils nous invitent à être fermes dans la foi, à aller toujours plus loin dans l'annonce de l'Évangile et le service de la justice."
Oui, nous pleurons encore les nôtres, nous faisons mémoire, et nous continuons d'écrire d'autres pages qui ne sont pas encore écrites. Avec la prière de nos compagnons du ciel, nous continuerons l'agenda qu'ils nous ont laissé.
Chers Mahame, Patrice et Innocent prient pour la petite Compagnie de la RWB et la guérison de nos pays.
Non Nisi Te Domine
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